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Restructuration de la dette grecque: Pourquoi la France et l'Allemagne sont aux antipodes

A. Merkel, G. Papandréou et N. Sarkozy
En échange d'un prêt de 110 milliards d'euros accordé en mai 2010 (80 milliards de la zone euro et 30 du FMI), Athènes s'était engagée à appliquer un plan de rigueur draconien pour réduire son déficit public. Le plan se décomposait en trois parties: baisse des dépenses publiques, augmentation des impôts et privatisations.

Les salaires ont baissés, les pensions de retraite ont été gelées, la tva a fortement crue mais les plus grandes fortunes échappent toujours au fisc, la très riche église orthodoxe est toujours exemptée d'impôts et les capitaux fuient le pays ce qui, au passage, affaiblit les banques grecques (38 milliards auraient été placé en Suisse ces dix-huit mois selon le ministère des finances grecs). En somme le peuple "d'en bas" subit de plus en plus fortement la crise, les plus riches s'en sortent mieux. Le pays ayant connu sa pire récession en 2010 avec une baisse du PIB de 4,2%, l'état va voir sa dette culminer à 150% du PIB en 2011. 


Le plan d'aide européen de 2010 pour sauver la Grèce de la faillite est donc un échec, à moins que l'objectif initial ne fût de gagner du temps et de repousser l’échéance d'une faillite. La situation financière du pays continue de se détériorer et aucune perspective d'amélioration ni même de stabilisation ne pointe à l'horizon. Pire la révolte sociale grandie et la courte majorité (155 députés sur 350) au pouvoir commence à se fissurer avec une première; deux députés qui démissionnent et cinq autres qui menacent de ne plus voter aucune mesure de rigueur. 
Pendant ce temps, un nouveau conflit voit le jour hors de Grèce opposant la France et l'Allemagne sur l'opportunité de continuer à soutenir la Grèce par des prêts publics. La chancelière allemande, mais aussi les pays du Nord de l'Europe, veulent conditionner toute nouvelle aide financière à une participation du secteur privé significative (30% de l’effort total au moins) alors que le président Sarkozy, ainsi que la BCE, le FMI et les pays du Sud de l’Europe y sont opposés. 

Berlin et paris s’affrontent pour des raisons d'ordre politico-culturel et parce que les enjeux financiers ne sont pas les mêmes pour les deux pays..

Solidarité latine contre rigueur germanique

La crise de la dette que connaissent la Grèce, le Portugal et l'Irlande, nous rappelle que la construction de l'Union n'a pas effacé les disparités économiques entre pays européens,  les différences culturels n'ont pas non plus disparues. Les pays du Nord de l'Europe ou protestants sont, par exemple, très sévères face au mensonge quand ceux du Sud et catholiques sont plus tolérants. Ainsi les premiers accablent la Grèce pour avoir falsifié ses comptes publics alors que les seconds éprouvent de la compassion pour les Grecs. 

L’Allemagne, pays du consensus social, est aussi celui du consensus politique qui a permit, entre autre, la réforme Hartz du marché du travail engagée en 2003 et celle des retraites par un gouvernement de gauche mais avec le soutient de droite. Les Allemands, ayant fait de gros sacrifices avec ces deux réformes, ne voient pas pourquoi les Grecs, les Portugais ou les Espagnol ne pourraient pas faire la même chose. Pendant ce temps, la France engluée dans une cohabitation et avec pour président un Jacques Chirac dont l'histoire retiendra qu'il ne fut pas un grand réformateur, n'a pas encore fait de grandes réformes sociales (ou ces réformes ne font toujours pas sentir leurs effets) et nombreux sont ceux qui pensent que défendre les acquis sociaux des PIGS c'est aussi défendre leurs propres acquis sociaux.

Tout cela pour dire que les opinions publiques française et allemande sont aux antipodes sur la crise grecque. Les Français veulent que l'Europe continue d'aider la Grèce alors que, selon un récent sondage, 60% des Allemands s'opposent à tout nouveau prêt.
La chancelière allemande ne peut et ne veut pas se mettre à dos son l’électorat, d'autant plus que l'exaspération allemande pour la Grèce concerne les électeurs de gauche comme de droite. Elle est attentive aussi à ne pas fragiliser sa mince majorité parlementaire, de plus en plus vindicative, au Bundestag.

Le président français est dans une situation inverse. Non seulement son opinion publique est favorable à une aide à la Grèce mais en plus il n'a rien à craindre non plus d'un parlement où la droite est largement majoritaire et très docile sur ce sujet. Cerise sur le gâteau la gauche partage ses points du vu sur la question hellène.
Nicolas Sarkozy est aussi prisonnier du rôle qu'il s'est attribué de "sauveur du monde" ayant fait face "à la plus grave crise qu'on ait connu depuis 1929" et se présentant comme l'architecte en chef, avec Dominique Strauss-Khan, du sauvetage de la Grèce si ce n'est pas du monde. Remettre en cause l'aide à la Grèce, c'est se renier sur tout ce qu'il a fait ou ce qu'il prétend avoir fait. A moins d'un an de la prochaine présidentielle, revenir sur ce que beaucoup considère comme le grand (le seule?) succès de son mandat serait un suicide politique. La Grèce peut faire faillite pour le président mais pas avant mai 2012.

Le secteur bancaire grec, talon d'Achille des banques françaises

Depuis que l'idée d'une restructuration refait surface avec force, les médias français rappellent avec insistance  que les banques allemandes sont plus exposées que les banques françaises. Toute insistance me parait toujours suspect, c'est un peu comme si on voulait rassurer le bon peuple que tout est sous contrôle, qu'il n'y a aucune raison de se ruer chez sa banque en imitant Eric Cantona et que de toutes les manières les Allemands sont plus mal placés que nous (c'est toujours plus agréable de couler en bonne compagnie et avec un orchestre jouant, comme sur le Titanic, plus près de toi, mon dieu). C'est aussi une manière pour la presse de ne pas se déjuger puisque depuis le début de la crise grecque, elle a toujours supporté le couple Sarko-DSK et critiquer la "lourdeur germanique" de Madame Thatcher Merkel. Quand on est docile et complaisant on l'est jusqu'au bout, cela vaut aussi bien pour la presse de droite que de gauche.

En réalité si les banques françaises, avec 12,6 milliards, sont moins exposées, que leurs consœurs allemandes, sur la dette publique grecque (12,6 milliards pour les premières et 18,4 pour les secondes) il n'en reste pas moins que si on prend en compte le total des dettes, en y incluant la dette privée, on arrive à un montant de 62 milliards pour la France et "seulement" 50 milliards pour l'Allemagne. Présentés bruts, ces chiffres ne disent pas grand chose mais si on les rapporte aux PIB de la France et de l'Allemagne on arrive à un poids respectif de 2,34% et 1,5% du PIB. Il est donc évident que Paris est bien plus inquiet et exposé à une faillite grecque que Berlin.

L’Allemagne exporte vers la Grèce trois fois plus en valeur que la France, cependant Athènes ne représente que 1% des exportations outre-Rhin et peuvent être compensé par les marchés émergents en forte croissance et solvables. Tout bon commerçant sait que vendre c'est bien mais se faire payer c'est mieux.Le problème français est que les pays les plus fragiles (Grèce, Italie, Espagne Portugal) sont aussi ses principaux marchés à l'exportation alors que l'Allemagne a un portefeuille commercial beaucoup plus équilibré.

Le compromis franco-allemand: Une restructuration douce et en douce

Entre un défaut de paiement et continuer à remplir un tonneau sans fonds existe une solution intermédiaire qui peut satisfaire Allemands et Français; Une restructuration de la dette grecque à laquelle participe le privé (banques, compagnies d'assurances, fonds, etc.) de manière strictement volontaire.

La restructuration peut prendre plusieurs formes; allongement de la durée des emprunts, engagement des établissements financiers à souscrire à de nouvelles émissions obligataires pour un même montant et à un taux identique quand les anciennes arrivent à échéances, etc. Quelque soit la formule choisie, une chose est certaine, les banques et les compagnies d'assurance subiront des pertes (ou un manque à gagner si le mot perte vous fait frémir) mais au lieu de perdre 80% de leur investissement elles ne perdront que 10% par exemple. C'est donc une solution plus douce.

Si la France et la BCE insistent tant pour que la procédure se fasse sur une base volontaire c'est pour éviter un "événement de crédit" sur la Grèce qui déclencherait les fameux Credit default Swap (CDS) et ferait la fortune de gros spéculateurs dans le monde (le nom de Goldman Sachs, encore lui, est couvent cité). Le marché des CDS étant libre, il est très difficile de connaitre l'exposition des banques européennes sur ce type de produit. Seule chacune d'elle le sait avec certitude, mais quand on voit le forcing du Crédit Agricole et du président de la Fédération Bancaire Française, on devine que les banques françaises ont gros à perdre si l'ISDA (International Swap Dealer Association) -et pas les agences de notations pour une fois- déclarait le statut d’événement de crédit. Une faillite oui mais en douce et non-officielle.

La question que tout les observateurs se posent est de savoir comment les états vont organiser une participation "strictement volontaire" du privé. Ceux qui connaissent les banques et les compagnies d'assurances et leur légendaire rapacité doivent être dubitatifs si ils ne sont pas pliés en quatre. En fait cela est peut-être plus facile qu'il ni parait, pour deux raisons:

1- La dette publique grecque est extrêmement concentrées, cela fait longtemps que les petits investisseurs s'en sont séparés et comme la BCE est intervenue massivement en rachetant de la dette grecque sur le marché secondaire elle se trouve être la principale détentrice des obligations publics émises par Athènes. Plus  un marché est concentré plus les acteurs de ce marché peuvent trouver un modus vivendi d'autant plus qu'il n'est dans l’intérêt de personne que la Grèce explose (sauf celui des spéculateurs sur CDS).

2- Les détenteurs de la dette grecque sont pour la plupart des établissements européens, il est donc plus facile pour l'Europe de faire d'amicales pressions sur elles. Après tout rien ne garantie que les banques ne connaitront pas encore une crise de liquidité et rien n'obligerait alors un Etat ou la BCE à porter secours à une banque qui, dans le passé, s'est montrée peut coopérative.

Il existe cependant deux obstacles à ce plan. D'abord les banques grecques détiennent environ 55 milliards de bons d'état et devront donc être recapitalisées en cas d’effort demandé trop important (comme l'état grec est ruiné il y a de forte chance pour les consœurs européennes en profite pour faire leurs emplettes pendant les soldes).
Par ailleurs il existe un important reliquat (maximum 20% de l'encours total) de dette hellène détenue par des particuliers, des fonds de pension et des banques établies hors Union européennes qui ne participeront pas à l'effort commun et seront ainsi les passagers clandestins d'un sauvetage couteux. C'est injuste mais le monde est injuste.


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